Concours de nouvelles : "Au cours de l’échange", par Jean-Noël Amato

Publié le 02/03/2021
Publié le 02/03/2021

Voici la dernière nouvelle sélectionnée dans le cadre de notre concours sur le monde du travail. Bonne lecture !

Au cours de l’échange

Jean-Noël Amato

Septembre 2020. Châtain clair, les yeux bleus, de fines lunettes laissant apercevoir un regard vif et curieux ; Clément marche dans le couloir, d’un pas décidé. Psychologue du Travail, ce qu’il apprécie particulièrement dans son métier, c’est de pouvoir suivre et anticiper l’évolution du monde du travail. Pour lui, ce monde n’est pas figé, ce dernier est comme un univers, changeant et en perpétuelle expansion. Ainsi, Clément pense sincèrement que le monde du travail, et ses différentes dimensions, sont parfaitement observables et peuvent être transformées, corrigées, optimisées. C’est ce que Clément essaie de faire, à son niveau, par la mise en place d’enquêtes, d’audit, permettant de suivre, et anticiper ces évolutions du monde et de l’univers du travail.

Ce matin, Clément a rendez-vous avec un Directeur des Ressources Humaines (DRH) afin d’échanger sur la mise en place d’un audit Qualité de Vie au Travail (QVT). Cet audit devrait permettre d’évaluer les impacts du confinement sur l’organisation du travail, clarifier les impacts de l’accélération subite de la transformation digitale, et évaluer les effets du recours systématique au télétravail lorsque cela était possible lors du premier confinement. Clément compte proposer et mettre en place un plan d’action, afin que ces différents impacts, sur le bien-être et la performance, puissent être améliorés s’ils sont jugés délétères, par les collaborateurs. Clément entre dans la salle de réunion. Il est motivé, il a hâte de s’atteler à la tâche. Il sourit. Au cours de l’échange, une question survint. Le DRH lui demanda soudain : « Mais comment faites-vous pour que la démarche ne soit pas instrumentalisée et détournée ? ». Clément fut surpris par la question. Ses expériences, jusqu’à présent, s’étaient toujours bien passées, surtout dans le champ de la QVT. C’est un domaine d’intervention plutôt « positif » par définition, dans lequel l’objectif est l’amélioration des conditions de travail au sens large du terme pour maximiser la performance, et l’amélioration du bien-être des collaborateurs. Clément répondit franchement que cela ne lui était jamais arrivé. Il se rattache alors à la démarche proposée, pour justifier pourquoi, selon lui, la démarche ne peut pas être instrumentalisée, notamment en s’appuyant sur : la création, la sensibilisation, et l’onboarding d’un comité de pilotage de la QVT, paritaire et représentatif. L’objectif principal étant d’impulser au sein de la structure une démarche collective d’amélioration durable. Cette explication semblait convenir au DRH qui hocha de la tête, satisfait par la réponse.

Pour argumenter son propos, sur l’instrumentalisation ou dérive potentielle de l’audit, le jeune homme relata au DRH un échange qu’il avait eu lors d’une journée thématique autour de la prévention, organisée par l’INPACT (Institut National Pour l’Amélioration des Conditions de Travail). Lors de cette journée, il exposait et proposait un baromètre innovant pour prévenir les Troubles Musculo Squelettique (TMS). Ce baromètre s’appuyait sur les dernières nouveautés théoriques pour appréhender les TMS, notamment les modèles bio-psycho-sociaux. Il rencontra de nombreuses personnes engagées dans la prévention et l’amélioration des conditions de travail. Ces discussions furent toutes très enrichissantes. C’est à cette occasion qu’il rencontra la directrice d’un CH2PA (Centre d’Hébergement Pour Personnes Âgées). Cette dernière, intéressée par le baromètre, lui posa plusieurs questions, et la première fut : « Mais, si je donne cela à mes aides-soignantes et mes infirmières, elles vont immédiatement me dire qu’elles ont mal partout, qu’elles portent des charges trop lourdes ! Comment faites-vous pour éviter ce type de réponses ? ». Se rappelant plonger son regard pétillant dans celui de la femme, il lui répondit : « Mais nous ne cherchons pas à éviter ce type de réponses, car elles orientent et permettent d’affiner le plan d’action que l’on met en place par la suite. Ce genre de réponses est dramatique si elles restent sans actions à court, moyen et long terme. Ce baromètre s’inscrit dans une démarche itérative, donc il faut également observer comment évoluent les réponses de vos aides-soignantes et infirmières. Il faut également analyser la manière dont elles évaluent les démarches et les réponses apportées à leur première évaluation, où tout était dramatique, trop lourd, trop difficile... ». Pour lui, le point clé était la communication, les restitutions faites au Comité de Pilotage, aux collaborateurs ayant participé, ainsi que la présentation du plan d’action à venir pour remédier à la situation. C’est comme cela que le jeune homme participait à l’expansion de l’univers du travail.

Après quelques retours d’expériences présentés succinctement, Clément, avec le DRH, reviennent sur la démarche et l’accompagnement autour des composantes de la QVT. Il fit part d’une autre expérience, concernant le développement d’une application pour cartographier les différentes composantes de la QVT. Cette application, développée avec une coach, visait à la prise de conscience par des collaborateurs de leurs points forts et de leurs points faibles pour améliorer, ou maintenir, leur Qualité de Vie au Travail. De même, en s’appuyant sur leurs forces et leurs faiblesses, l’application devait leur proposer un plan d’action individuel. Un des objectifs, par exemple, concernant les relations de travail et le style de management, était de permettre aux collaborateurs d’être plus assertifs, bienveillants. Cette application, grâce à lui, s’accompagnait également d’une démarche collective pour faire remonter et co-construire des préconisations. Dans cette démarche, le plus important n’était pas le plan d’action individuel, au-delà de l’essaimage vertueux de la bienveillance, non, le plus important était la communication et la transparence.

Pour illustrer son propos, Clément se leva et s’approcha de l’aquarium : « Si cet aquarium est un univers restreint, lorsque le néon est allumé, lorsque l’eau est claire et bien oxygénée, que les poissons sont correctement nourris, alors ils vivent en harmonie, ils jouent ensemble. Mais si un de ces éléments venait à disparaitre, si le néon s’éteint, ou si l’eau devient plus vaseuse, alors l’équilibre de cet univers bascule. Il en est de même pour la Qualité de Vie au Travail. Si la démarche est éclairée, que les différents facteurs sont clairs et bien définis, que les actions sont explicitées, alors les collaborateurs trouvent un consensus et s’impliquent ensemble. Tout repose sur les objectifs que l’on se fixe au départ, et le partage de ces objectifs. ».

Clément insista sur la démarche proposée, l’impulsion, l’évaluation, l’élaboration du plan d’action, la communication. Le tout dans la transparence. Pour lui, si le but à atteindre est compris par tous, il ne peut y avoir d’échec, car il s’agit là d’un réel accompagnement. Il ne peut y avoir de détournement ou d’instrumentalisation de la démarche, du moins sur des thématiques comme la QVT, ou, les Risques PsychoSociaux (RPS) ou les TMS. Au-delà d’une approche bienveillante, enthousiasmante, motivante, stimulante, « impliquante », responsabilisante, apaisante, ou exigeante… Il fallait promouvoir une approche transparente. Au terme de l’échange, le DRH fut conforté dans son projet et sa démarche. Convaincu qu’avec des objectifs cohérents, accessibles, un accompagnement, un regard neutre et externe, cela, les amèneraient à progresser. Et c’est ainsi, en franchissant, ensemble, les différentes étapes, qu’ils pourront aller vers une démarche d’amélioration durable de la QVT de tous les collaborateurs et contribuer au développement durable de l’univers du travail, au travers d’une transformation digitale maitrisée qui intégrerait l’organisation du travail, la santé au travail, et les relations de travail.