Publié le 18/03/2021

Ils seraient près de 50 000 à La Réunion, ces femmes et ces hommes qui, souvent après ou avant leur travail, viennent en aide à un proche. Avec parfois des situations dramatiques.

Didier Estèbe (notre photo) est Directeur Général Adjoint du Crédit Agricole Mutuel de La Réunion. De concert avec les représentants des salariés, il a fait monter en puissance la démarche de soutien aux aidants familiaux salariés. Elle est en vigueur dans la banque depuis quelques années. La période de pandémie dans laquelle nous sommes toujours a aggravé certaines situations : des structures de répit ont fermé ; le télétravail a privé certains employés de leur bouffée d’oxygène, la cohabitation avec des membres de la famille vulnérables a complexifié certaines situations. A la clé, quelques cas délicats, avec toutes les conséquences sanitaires et sociales que cela peut avoir. Le contexte n’est pour sûr pas propre à la banque mutualiste.

« Il y a longtemps que la Caisse Régionale est investie dans la qualité de vie au travail », précise celui qui est également Président du Comité Social et Economique. En 2019, la Caisse Régionale s'inscrit au prix ESA (Entreprises Salariés Aidants). Elle termine 2e. Ses actions principales : 1) don de jours de repos des salariés à un collègue aidant*1 (et abondement de la Caisse Régionale) ; 2) possibilité de faire un « micro-don » de salaire mensuel net*2. Le fonds de solidarité constitué est abondé par l’Employeur. 3) formation des équipes RH, des managers et des représentants du personnel.

Risque d’épuisement

Le projet d’entreprise « Ensemble vers Demain » est coconstruit avec les salariés, les clients et les administrateurs. Début 2020, le dossier des aidants familiaux a été priorisé. Survint la pandémie de covid-19. Les difficultés liées au confinement et à la mise en place du télétravail ont pu percuter l’équilibre parfois fragile entre vies personnelle et professionnelle. Des salariés aidants familiaux qui jusqu’alors préféraient rester discrets sur leur engagement ont dû se dévoiler. « Certains de nos collaborateurs n’avaient pas envie de dire qu’ils s’occupaient de la grand-mère, de leur conjoint ou d’un marmaille ; ou bien ils n’avaient pas conscience de leur statut d’aidant familial », décrit Didier Estèbe. La protection des personnes vulnérables (que ce soit pour des raisons de vieillissement, de handicap ou de maladie) exigea alors qu’elles soient traitées spécifiquement. Mais comment mettre en place un tel isolement ?

Autre sujet : ces aidants ne pouvaient plus nécessairement se rendre sur leur lieu de travail, et devaient cohabiter en permanence avec leurs proches fragilisés, avec une forte charge émotionnelle et quotidienne. Il y avait urgence à traiter la question en 2020, « à la fois pour la Caisse Régionale, pour les entreprises et pour le territoire plus largement », détaille M. Estèbe. Ce n’est pas un petit enjeu : aujourd’hui en France, 20 % des salariés sont en situation d’aidance. Cela représenterait environ 50 000 personnes, pour une grande partie en situation de travail, à La Réunion.

Comment lancer ces démarches ? Quels dispositifs supplémentaires mettre en place ? « Nous sommes une banque, donc ce n’est pas notre spécialité. Nous avons dédié deux salariés à temps plein sur cette question, dès mars 2020. Puis nous avons contracté des partenariats. L’un, local, avec le Groupe CRC-CRP ; l’autre avec un expert de la question : le cabinet Interfacia. Ensuite nous avons organisé un « lab » avec les acteurs locaux : associations d’aidés et d’aidants, institutions, le GIP SAP (lié au Conseil départemental). Nous leur avons demandé ce dont ils avaient besoin. Il est ressorti qu’il y avait une exigence de clarté sur les structures d’accompagnement disponibles pour le grand public, qu’il fallait sensibiliser les entreprises et notamment soutenir les services de ressources humaines et les managers sur ces enjeux. Enfin il était requis des outils de formation. » Certains témoignages sont insupportables : une salariée qui n’a pas dormi pendant un mois et demi, s’occupant de sa fille polyhandicapée 24 h sur 24. Un cas certainement pas unique. L’écrasante majorité des aidants familiaux mobilisent peu ou pas du tout les ressources à disposition, pour de nombreuses raisons.

Management de l’aidance

La Caisse Régionale et CRC ont diffusé un questionnaire (accompagné d’offres de services) au sein de leurs équipes. D’autres entreprises, sollicitées par ce tandem, l’ont utilisé, ce qui a donné 1 200 réponses en tout, entre La Réunion et Mayotte (Crédit Agricole). Les données précisées plus haut sur le taux d’aidants salariés furent ainsi confirmées.

Trois outils ont été mis en place :

1) une brochure pour les salariés, pour répondre à toutes leurs questions ; elle a été largement annoncée ; elle est disponible en ligne et en version papier.

2) un guide pratique pour les directions et chefs d’entreprises ; une cinquantaine de chefs d’entreprises ont été contactés pour rendre encore plus pertinent le contenu de la brochure, laquelle énumère les étapes : diagnostic des besoins, bonnes pratiques, témoignages… « Nous voulons populariser le management de l’aidance en entreprise », s’enthousiasme Didier Estèbe. Des conférences de presse, émissions radio ont permis l’information de la population.

3) Enfin six modules d’autoformation en ligne sont ouverts à tous (voir les liens utiles).

La démarche d’entreprise au sein du Crédit Agricole de La Réunion a été accompagnée à chaque étape par un dialogue social entre les directions et les représentants de salariés.

Les enjeux du vieillissement et de la dépendance sont connus depuis longtemps. La pyramide des âges française et réunionnaise évolue, avec une augmentation de la population couplée à une hausse encore plus grande du nombre de personnes âgées, parmi lesquelles le taux de dépendance est plus élevé que dans les autres classes d’âge. L’initiative d’acteurs privés pour accompagner les besoins sociaux grandissants sur ces questions est donc d’autant plus nécessaire.

*1 En 2020, 480 collaborateurs, soit plus de 50 % des effectifs de la caisse, ont donné des jours. Quand le salarié donne un jour, l’entreprise en donne un aussi. Il y a eu 22 bénéficiaires de dons de jour.

*2 Le salarié abandonne ce qu’il y a après la virgule (rompu de salaire) de son salaire. Il y a eu 107 donateurs et 1 bénéficiaire.

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