Concours de nouvelles : "TYP Emotstion", par TYP

Publié le 01/03/2021
Publié le 01/03/2021

Voici la septième nouvelle présentée dans le cadre de notre concours. Bonne lecture !

TYP Emotstion

TYP

Il était une fois des êtres humains qui vivaient dans un monde basé sur le consumérisme... Non définis par ce qu’ils étaient mais par ce qu’ils avaient, il se dirigeaient de plus en plus vers un individualisme forcené. En effet, on leur avait expliqué depuis leur plus jeune âge qu’il n’existait que deux types de personnes : les bons citoyens (qui travaillent plus pour gagner plus) et les assistés (qui sont une charge pour la Société).

Notre protagoniste est un jeune créole que nous nommerons TYP pour sa volonté de s’intégrer et de devenir le profil type (ce Graal tant recherché dans la société). Il quitta son île (seule nation qu’il connaissait) pour faire des études qu’il réussit brillamment. Puis conformément aux attentes de ces congénères, il devint un jeune ingénieur diplômé. Trop qualifié (selon Emploi Réunion) pour rentrer au pays, il dut trouver un travail en métropole. Extrêmement compétent, qualifié et motivé, il ne fallut pas longtemps pour en trouver, néanmoins sa quête ne fut pas sans écueil ! Il découvrit avec stupeur que malgré son « excellence » (diplômé d’une grande école), sa couleur de peau ainsi que son nom de famille seraient des obstacles conséquents pour son intégration dans ce pays qu’il croyait le sien : la France. Cela, qu’il ait un travail, paie des impôts et touche beaucoup d’argent ou non ! Il trouva un emploi basé à Strasbourg pour une entreprise allemande. Quelle ne fut pas sa stupeur de découvrir qu’après 4 mois à l’hôtel et des revenus que l’on pourrait considérer comme indécents pour un jeune célibataire de 24 ans, il ne trouvait toujours pas de logement !

« Il vous faut une caution solidaire » , lui disait-on. Ce à quoi il répondait : « Mais je gagne plus de 6 fois le loyer, regardez ma fiche de paie !!! ». En vain... Après quelques arnaques au logement et l’installation d’un alcoolisme sévère, il décida de se tourner vers ses parents afin que ceux-ci l’aident, de par leurs connexions et leurs réseaux respectifs. Cela ne tarda pas. C’était le début de son aventure dans le formidable monde du travail. Alcoolique et fier de l’être, « a-Rhum-atisé » comme il l’aimait à le dire. Il travailla pour une entreprise du médical dans une branche spécialisée pour l’intégration de salles d’opérations. Pour faire simple, il s’agissait de l’utilisation de dispositifs informatiques (infrastructures et logiciels) qui permettaient d’améliorer l’efficacité, la sécurité et la rentabilité des salles de chirurgie. Jeune cadre ne comptant pas ses efforts, il lui arrivait fréquemment de passer plus de douze heures par jour à travailler. Il en fut rapidement récompensé par un poste de vente à responsabilité à l’international. C’est ainsi qu’il rencontra sa compagne sur un congrès médical : une princesse mauricienne travaillant pour une entreprise concurrente. Nous la nommerons Pocahontas pour ses origines indiennes et sa culture guerrière (l’amalgame est volontaire). Un nouveau chapitre de sa vie s’ouvrit alors !

Pocahontas vivait dans le nord de l’Allemagne, à six heures de voiture ou huit heures de train de TYP (les vols en avion existant n’offrant guère d’alternative satisfaisante). Tous deux très impliqués dans leur travail, ils durent se voir le week-end, de temps en temps, ou en vacances (quand ils pouvaient se permettre d’en prendre car à ce niveau, ce ne sont pas les jours de congés qui vous manquent mais les responsabilités qui vous oppressent). Une idylle qui dura près d’un an, avant qu’ils ne décident de s’installer ensemble. C’est là que les choses commencèrent à se gâter...

TYP n’avait jamais vraiment eu à gérer d’équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie privée. Il négligeait allégrement sa santé pour travailler plus, buvant de plus en plus pour tenir la distance, s’étant mis à fumer pour pouvoir dormir (le stress permanent l’en empêchait et les reproches de sa compagne par rapport à son mode de vie n’aidant pas). Enfermé dans un cercle vicieux, il débuta sa descente aux enfers lorsque son manager de l’époque lui demanda de travailler également les week-end pour l’aider. Ce directeur international des ventes français qui travaillait pour une entreprise allemande ne parlait ni l’anglais, ni l’allemand. Autant vous dire que le jeune TYP, qui avait atteint le sommet de ce que l’on peut faire à son âge (selon les ressources humaines de son entreprise), eut de plus en plus l’impression d’être un esclave. Aucun salaire ne pouvait justifier d’être traité ainsi, et pourtant son manager gagnait près du double ! Pocahontas entreprit (conformément à son caractère pugnace) de lui mettre un ultimatum : il faudrait choisir entre elle et son travail. Il tint bon, pendant un temps, puis se brisa.

Il quitta son travail pour cause de maladie et entra en procès avec son entreprise. Dépressif, alcoolique, dépendant au cannabis, en froid avec sa compagne, était-ce cela la réussite qu’on lui avait promise ? Il épuisa une grande partie de ses économies pour survivre et finit par se séparer de Pocahontas. Celle-ci voulait d’un homme qui se bat, pas d’un homme qui se résigne et il n’avait plus la force de lui donner ce qu’elle désirait. Par amour ou par égoïsme, il choisit de la laisser reprendre son chemin. Il l’aimait, certes, plus que tout mais il l’aimait surtout plus que lui-même et elle en voulait toujours plus : après le travail, l’ultimatum suivant fut l’alcool, puis la cigarette, puis le cannabis, enfin ses interactions avec certains membres de sa famille... C’en était trop pour un homme à terre. L’histoire aurait pu s’arrêter là, sur un suicide, mais la vie est bien faite : en mars 2020, moins d’une semaine après sa séparation, arriva le confinement !

La période étrange qui suivit fut salvatrice pour TYP, l’homme qu’il était appartenait au monde d’avant... Quel était le sens de sa vie ? Quel était le sens du travail ? Qu’avait-il fait de ces formidables capacités qui lui avaient été données par la providence et qu’il avait cultivé à la sueur de son front ? Il fut obligé de se poser toutes ces questions, puisqu’il était seul, enfermé chez lui et coupé de ses anciens amis (rencontrés via le travail, sa compagne ou encore le milieu culturel, désormais à l’arrêt). Il connut un effondrement de ses valeurs, d’autant plus qu’à de nombreuses reprises, lorsqu’il vendait à l’un ou l’autre des pays qu’il gérait une salle d’opérations intégrée, il vantait aux dirigeants des hôpitaux le fait de pouvoir remplacer une infirmière de bloc lorsqu’elle partirait à la retraite par son système. À l’heure où l’on applaudissait aux fenêtres et manquait cruellement de personnel, n’était-ce pas un peu de sa faute ? Il se plongea dans une introspection profonde dont naquit un homme nouveau !

Délaissant son nom et son prénom, il serait désormais connut comme TYP Emotstion. En l’espace de 28 ans, il n’avait rien fait pour lui. Cela allait changer ! Cela fait moins d’un an et depuis, malgré l’absence de succès, le travail n’est plus pour lui question de consommation mais de production ! Au cours de cette année, il sortit un site internet, des contes, des podcasts, des livres et écrivit de nombreuses chansons et ce n’est que le début ! Sa conclusion, qui n’engage bien entendu que lui, fut la suivante : le travail n’a de sens et de raison d’être que s’il favorise l’expression de l’essence et la vie. En difficulté financière, seul, mais plus que jamais vivant et heureux, voici l’histoire de TYP : un alcoolique qui ne boit plus, un fumeur qui ne fume plus, un français qui ne collabore plus !